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Des tremblements secouaient la carcasse du vaisseau, comme si l'assemblage Naaru risquait de se briser. Un bruit assourdissant résonnait dans tout l'Exodar, un sifflement sourd et sinistre masquant tous les autres bruits. Un vacarme apocalyptique.
Elle avançait d'un pas décidé, presque pressé. Elle essayait de se concentrer sur ses pieds, de maintenir le menton baissé pour que personne ne voit ses yeux. Malgré tout, elle ne pouvait s'empêcher de jeter des regards furtifs à ceux qui la regardaient passer, et qui s'écartaient aussitôt pour ne pas la bousculer en voyant les larmes qui coulaient sur ses joues. Le monde autour d'elle était flou à travers ses yeux humides. Enfin elle arriva. Un draeneï la regardait arriver, l'air consterné, compatissant. Il lui mit fraternellement la main sur l'épaule ; elle passa rapidement une main sur sa joue pour essuyer une larme qui y coulait, mais continua de regarder le sol, incapable de lever les yeux. Compréhensif, l'autre lui murmura simplement à l'oreille, en lui indiquant de son autre main l'entrée devant laquelle il se trouvait :
_Entrez, Sarlessa, il est ici.
La draeneï écarta légèrement les longs rideaux bleus qui pendaient, cachant l'intérieur de la chambre. En entrant, elle osa enfin lever le visage pour contempler la pièce. Juste devant elle, un jeune draeneï était allongé sur un lit. Serrés autour de son ventre, de grands bandages s'imbibaient progressivement de son sang. Un marteau ensanglanté et une armure déchiquetée gisaient au pied du lit.
Elle se précipita vers lui, s'agenouilla par terre et prit l'épaisse main du mourant dans les siennes. Incapable de dire un mot, elle embrassa cette main tant aimée, ne pouvant retenir ses larmes. Réveillé par cette présence, le draeneï ouvrit ses paupières ; son œil gauche était entièrement rouge, et du sang en coulait.
_C'est... c'est toi ?.. Je ne te vois pas... ou es-tu ?..
La draeneï releva les yeux, se rapprocha de son visage. Elle lui prit la tête entre ses mains, se plaça face à lui, tout prêt et parla d'une voix ou se mêlait la joie et la douleur.
_Je suis la, je suis la maintenant, tout va s'arranger, ne t'inquiète pas...mon trésor...
_J'ai mal... un elfe m'a touché... les médecins n'arrivent pas à arrêter le poison...
_Ne t'inquiète pas ! Nous sommes partis maintenant, l'Exodar est à nous, nous partons... nous allons à l'abri, tu vas vivre, tu verras, tu vas guérir, hein ? Promet le moi, tu vas guérir, dis le moi je t'en prie, dis moi que tu iras mieux ! Ne me laisse pas seule !
A mesure qu'elle parlait, sa voix se faisait de plus en plus désespérée, et les larmes revenaient inonder son regard. Sous ses mains, sur les joues du draeneï, les veines déjà commençaient à gonfler et à noircir, laissant présager une mort imminente. Un tremblement plus fort que les précédents secoua la pièce, et le sifflement se fit plus insupportable encore. Elle devait maintenant tenir sa bouche contre l'oreille du blessé pour qu'il l'entende. Les yeux du mourant commençaient à se fermer lentement. Son cœur battait de plus en plus faiblement.
_Tu dois vivre... s'il te plait...
_J'ai mal... je t'aime... maman...
Ce dernier mot fut son ultime. Un léger souffle sorti de sa bouche entrouverte et tout fut fini. La draeneï, déchirée par le chagrin, se serra contre le corps sans vie de son fils.
Le sifflement avait encore gagné en intensité. Un sifflement pénétrant qui envahissait l'esprit des draeneïs terrifiés qui priaient les Naarus de les sauver de cet enfer. Mais l'Exodar tenait bon.
Sarlessa sortit de la chambre. Ses yeux, d'un bleu clair, étaient auréolés de rouge après avoir versés tant de larmes. Dans son esprit, la tristesse commençait à disparaitre pour laisser place à un désespoir sans fin. Autrefois belle et pleine de vie, elle n'était plus désormais que l'ombre d'elle même, et elle attendait maintenant la fin de la course de l'Exodar, pour connaître enfin le repos.
Une secousse violente parcouru le vaisseau, qui déstabilisa Sarlessa. Elle tomba à terre et sa tête frappa le sol. Autour d'elle, les lampes et les chaises avaient basculées et tout était retourné.
Elle rouvrit les yeux. Tout son corps n'était que douleur, et elle avait l'impression que sa tête allait exploser. De son regard flou, elle distinguait le lointain plafond de l'Exodar. Tout était beaucoup plus lent maintenant. Elle espérait que la mort ne la fasse pas plus attendre. Mais au lieu d'être saisie par la main glacée de l'autre monde, c'est une poigne de fer qui lui prit le bras et la souleva. Avant qu'elle puisse comprendre ce qu'il lui arrivait, elle était dans les bras d'un draeneï à la stature imposante, mais au visage marqué, torturé. Un Roué. Nobundo, le premier des chamans, celui qui parlait aux Vents et que Velen le Sage avait accueilli au moment du dernier voyage des draeneïs, la portait dans ses bras et l'emmenait dans un endroit plus sur. Trop fatiguée pour lutter, pour lui dire de la laisser mourir, elle se laissa bercer et tomba dans un sommeil profond.
Une autre secousse, un bruit d'explosion. L'Exodar entrait dans le ciel d'Azeroth.
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Echec. C'est le seul mot qui lui venait à l'esprit après ce qu'elle venait de faire. Elle avait pourtant lutté contre cette petite voix qui parlait dans sa tête, qui osait lui révéler des sentiments enfuis au plus profond de son être, qui osait lui dire ce qu'elle devait faire. Elle se faisait confiance, elle ne pensait pas retomber dans cet état un jour... pourtant, elle avait tellement essayé... dans son esprit brisé, sa mémoire s'affolait et cherchait dans ses souvenirs des moyens de la calmer. L'image de son maître lui revenait en tête...
Compassion. Tel était le maître mot de l'enseignement de Nobundo. La compassion envers les éléments, envers la nature et la vie qu'elle abrite.
L'art du chaman était long à comprendre et à apprendre. Le Roué avait passé beaucoup de temps à expliquer à Sarlessa ce qu'il avait appris en errant dans les terres de Draenor, découvrant la conscience et la bienveillance des éléments primordiaux qui, d'une certaine façon, servaient la même cause que les puissants Naarus. Les vents de Draenor avaient parlés à Nobundo et lui avaient montré la Voie que les Orcs avaient abandonnés depuis si longtemps. Et dans sa volonté de surmonter ses tourments passés, Sarlessa l'écoutait d'une oreille attentive.
Puis vint le temps de mettre en pratique les paroles du Roué. La draeneï fut abandonnée dans la nature fertile d'Azeroth, livrée à elle même dans un monde qu'elle ne connaissait pas. Son errance fut longue, et des mois durant elle survécu seule, loin de tout. Dans son ennui mortel, elle ne pouvait s'empêcher de ressasser inlassablement les évènements qui avaient précédés le départ de son peuple mais, au fil du temps, presque malgré elle, elle commençait à sentir la présence d'entités omniprésentes, à se sensibiliser à la vie qui l'entouraient. La Voie du chaman s'ouvrait à elle.
Sarlessa se laissa alors bercer par les paroles rassurantes et protectrices des éléments. Comme Nobundo l'avait fait avant eux, ils la prirent sous leur tutelle et lui murmurèrent les secrets de ce monde. Ils lui montrèrent des beautés que seule Mère Nature avait pu faire, et elle se voua à la mémoire et au culte de Malorne et de Cénarius. Ils élevèrent sa conscience et la transportèrent dans une dimension proche du légendaire Rêve d'Emeraude, le royaume d'Ysera, et quand elle en revint, enfin, elle fut digne des éléments ; elle avait emprunté la Voie du chaman. Sa perception du bien et du mal, sa perception du monde entier avait changé. Elle ne se sentait plus seule mais savait qu'à ses côtés se trouvait toujours un morceau de nature. Enfin, après tant de temps, elle pouvait repenser au passé sans rien regretter. Ses tourments avaient cessés.
Et pourtant... elle tenait toujours dans sa main sa masse ensanglantée, et ses vêtements étaient couverts de sang. Agenouillée devant la vision sinistre des anciens vaisseaux Naarus, sur sa terre natale désormais détruite, ses tourments lui étaient revenus, et la petite voix dans sa tête avait laissée la place aux souvenirs des gémissements de douleur de son fils. Autour d'elle, les cadavres des Elfes de Sang qu'elle avait massacré dans sa folie se vidaient de leur sang. A ses oreilles, les éléments des terres déchirés de Draenor pleuraient. Sarlessa était seule, et s'écroulait.
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