Je sais qu'il ne trouvera jamais cette lettre. Elle restera près de moi, jusqu'au bout. Elle suivra ce corps fatigué qui porte mon cœur, mon âme, et mes souvenirs. Les meilleurs, comme les pires.
Longtemps j'ai maudit ce jour ou les druides décidèrent de donner une nouvelle chance à notre peuple. Longtemps j'ai hait ceux qui avaient planté ce mensonge qu'est encore aujourd'hui à mes yeux Teldrassil, le nouvel Arbre Monde. C'est ainsi qu'ils l'appellent. Je n'ai toujours vu en lui que la propre défaite de notre peuple. J'ai craché sur le nom de Malfurion, j'ai rêvé qu' Elune n'existe pas.
Furion et ses druides avaient rejoint le Rêve d' Emeraude, ils avaient lié leurs esprits, pensant dans leur folie qu'ils gagneraient à nouveau ce que la guerre contre les Quel Dorei nous avait volé. L' immortalité les faisait rêver. Leur égoïsme me faisait vomir.
C'est ainsi que je l'ai perdue. Elle. Elle était ce que j'avais eu de plus beau. Nos coeurs s'étaient reconnus, au premier regard sur sa silhouette, j'ai compris qu'une nouvelle vie s'offrait à moi. Je ne demandais qu'à poser les armes, acceptant enfin qu'un jour la mort viendrait, après toutes ces batailles, après ces guerres, après avoir vu la mort de mes frères, puis notre peuple redresser la tête. J'étais las du sang que l'ont ne voyait pas sur mes mains.
J'étais las de celui que je savais avoir coulé, par elles mêmes.
Et Sherane Elane était là. Comme si enfin on me permettait de souffler. De donner un véritable sens à ma vie. Après des siècles a ne plus espérer, devant ces décennies qui séparaient sa naissance de la mienne. Quinze années. Un souffle. Une bribe de souvenir. Quinze années seulement.
Sherane devint mon immortalité, à moi.
Et mon coeur s'est surpris à l'aimer. Elle qui n'était que douceur, alors que je n'étais que violence,elle qui clamait ouvertement la force de son peuple, alors que je ne voyait désormais en eux que laideur. Elle qui œuvrait déjà pour que la nature elle aussi relève la tête, je ne voyais même pas ce que mes pas écrasaient. Sherane Elane, qui offrait les préceptes d'Elune a quiconque voulait poser un regard sur elle, je n'avais jamais rien fait d'autre qu'éviter ceux qui la servaient. Sherane Elane qui avait un jour posé sa main sur ma joue en me jurant que le calme entrerait dans mon cœur, et que cela serait bon.
Sherane qui chantait à mon oreille qu'un jour la pluie tomberait, et qu'elle serait les larmes d'Elune. Sa voix emportait mon coeur dans un tourment de mélancolie qui me faisait l'aimer encore plus. Aujourd'hui encore j'entends sa voix.
J'ai pleuré le ciel, j'ai pleuré la pluie. Je suis devenu orage, le soir ou Sherane Elane a lâché ma main pour rejoindre ceux de sa caste dans le Rêve Cristallin. J'ai juré, j'étais devenu haine et folie, contre moi même, de ne pas avoir eu le cœur de la retenir, de n'avoir pas moi même tenté de couper chaque racine qui permettait à Teldrassil de tenir debout. J'aurais pu soulever les montagnes. Je n'ai fait que pleurer sur ma propre solitude.
Mes nuits étaient devenues des cauchemars. Mes journées ne s'en sortaient pas mieux. Je ne faisais que rôder autour du sanctuaire ou les druides s'étaient tous endormis, offrant aux regards des autres des murs froids, terribles de majesté et de grâce. La beauté devenait laideur à mes yeux. Le bonheur de mon peuple était devenu la gangrène par laquelle je pourrissais.
Les années passèrent, quatre ... Je n'ai jamais compté. Et je n'ai rien pu faire contre ce qui arriva cette nuit là.
Encore une fois j'avais dormi dans la boue qui se formait autour du temple. La crasse était mon lit, aussi sale que la rage que je crachais chaque jour. La nuit avait été une victime complice, le fouet d'une tempête gigantesque s'était abattue sur elle, et je n'avais pas cherché à m'abriter. Les animaux avaient fuit la foudre et le bruit. J'étais resté sous le tonnerre, espérant qu'il entendrait mes cris et qu'il punirait ma lâcheté.
Les gardes, ceux qui s'étaient habitués à me voir roder, à entendre mes pleurs, vinrent me réveiller. Leurs yeux cherchaient à me parler, évitant une brusquerie, mais aucun mot ne pu sortir de leur bouche. Il était arrivé malheur. Je me suis précipité vers le palais, j'ai poussé les portes, j'ai défait la beauté de l'endroit par mes cris, par le bois que je brisais, par le vert linceul que mes pieds déchiraient.
Et Sherane était là. Devant moi. Allongée sur le côté, ses cheveux encore humides de cette rosée que la structure avait laissé passé. Sa peau était pâle, elle respirait si doucement qu'aucun animal ne l'aurait cru vivante. Mais elle était belle, si belle, mon Sherane. Je hurlais aux gardes de donner des réponses à mes questions, mes mains accrochaient leurs armures, les brusquant malgré moi.
Quinze années à répandre la vie autour d'elle, quatre années a dormir d'un sommeil sans fin, et en une nuit, alors que son corps si jeune n'y étais pas préparé, alors qu'elle ne connaissait l'amour que par les prières et les baisers que mes lèvres déposaient sur les siennes, et en cette nuit ou la pluie avait couvert le bruit, recevoir ce par quoi la mort la prendrait à moi, sans même qu'elle en ait conscience. Jamais.
La nature a un sens de l'humour a part. La vie fut une chienne. Sherane Elane ne mourrait pas. Son corps faiblissait de jour en jour, d'année en année, et pourtant la vie naissait de cette plante qui ne se voyait pas faner. Comme un liseron, comme un parasite, l'enfant grandissait en elle. L'enfant de la folie, l'enfant du viol. Mon pire cauchemar. Suivant le rythme ralentit que le Rêve d'Emeraude imposait a ceux qui partageaient ses pensées, sa grossesse était le témoin de ma vie qui coulait.
Les années passèrent, cinquante ... Je n'ai pas compté, et Sherane partit enfin. Jusqu'au dernier moment je n'avais plus lâché sa main. Mes larmes ne coulaient plus, je n'en avais plus la force. J'avais été le triste spectateur de l'échange entre la vie et la mort.
Et les Keldorei firent tout pour que l'enfant ne suive pas sa mère. Et l'enfant survécu, il était là, dans mes bras, les yeux déjà ouverts, me regardant, scrutant mon visage comme elle le faisait, elle. Je devenais fou. Il avait sa peau sombre, son nez fin. Je tenais contre moi cette chose qui avait grandit au sein de la femme que j'avais vu mourir, et lui serrait mon doigt dans sa petite main. Ce petit être aux senteurs de plantes, ce tout petit. L'enfant du Rêve d'Emeraude.
J'imagine que la réputation de ma famille fut pour beaucoup au fait que l'on accepta que j'élève cet enfant. Non, je ne m'y étais pas résigné, je m'infligeais cela, comme une ultime punition. Comme un dernier supplice.
Et voir grandir cet enfant à mes côtés, jusqu'a ce jour ou cette encre dessine les lettres de ma vie, le savoir là, près de moi, a apprendre de mes actes, a comprendre les préceptes que sa mère défendait, l'entendre murmurer pour la première fois mon nom, l'entre me raconter ses rêves si étranges, tout cela fut le plus beau de mes cadeaux.
Sherane était curieux de tout, il sautait, il riait, il touchait à tout, respectueux des choses comme des gens. Jamais une larme, ou plutôt jamais devant qui que ce soit, jamais un cri. Oui. Sherane. C'est ainsi que je l'ai appelé. Sherane Elane. Il porterait toute sa vie le nom de celle qui ne l'avait pu vu naitre. Si perdre ma bien aimée était ma punition, son fils porterait son nom et cela serait sa chance.
Je sais qu'il cherchera cette lettre. Mais elle restera près de moi, jusqu'au bout. Elle suivra le corps de son père, emportant ses souvenirs, les meilleurs comme les pires.
Longtemps je prierais le nom d'Elune. Une éternité je remercierais ces guerres qui ont vu notre immortalité disparaitre. Aujourd'hui, j'emporte avec moi ce que jamais Sherane ne saura. J'emporte avec moi ma folie. J'emporte avec moi la rage qui, en ce soir de pluie a fait de moi cette bête qui s'est glissé jusqu'à la couche de celle que j'aimais pour lui donner moi-même la mort.
Une éternité, je regarderais le Fils du Rêve d'Emeraude. Pendant des siècles son souvenir hantera ma mort, comme celui de sa mère a hanté ma vie. Jamais Sherane Elane ne saura qu'il est le fils du viol et de la folie. Il continuera a chasser la pluie comme un enfant cherche la vie, sans même comprendre pourquoi ses rêves étranges l'attirent vers elle.
[Ci dessus un petit texte RP, sans aucun lien avec mon personnage actuel, juste l'histoire d'un druide et son lien tout particulier avec la vie. Bonne lecture !]
Je reste pantois devant tant d'éloquence et d'improvisation.
*Rêve d'un Jdr avec Aldrids*
J'aime le style, direct, cadencé et pourtant accessible.
Merci pour ces quelques instants.